Ça passe ou ça Kaas. On appelle ça un burn out. Un truc qui vous prend au cœur et au corps, qui enraye sournoisement la machine. Chez Patricia Kaas, cet accident de parcours, a signé sa renaissance artistique et personnelle. Il l’a mené à enregistrer « Patricia Kaas », premier album éponyme de sa carrière, dixième album studio, première collection de titres originaux depuis treize ans. Nouveau départ, nouvelle vie, nouvelle approche musicale.

Sans ce maudit/béni burn out, on n’aurait donc jamais fait la connaissance d’ « Adèle ». L’adolescente de la ballade féministe de Ben Mazué, que sa mère prend à part pour lui expliquer que le sexe prétendument faible, dans ce monde d’hommes, doit toujours batailler deux fois plus pour s’imposer et que l’interprétation bluesy intimiste de Patricia Kaas, suffit à rendre bouleversante. Le jeu subtil à la guitare acoustique et à la slide guitar de Fin Greenall, leader du groupe anglais Fink et orfèvre du son roots (John Legend, Amy Winehouse), fait de ce morceau un moment suspendu dans le temps, hautement mélodique, spécial.

Oui, sans cette pause rédemptrice, Patricia Kaas aurait continué à être quelque chose comme l’artiste interprète populaire exemplaire, parfaite, une bête de scène capable, par son charisme, son sens pointu de la mode et son professionnalisme, d’incarner à elle toute seule la France à l’étranger, ayant, d’instinct, saisi toute l’élégance de son métier et rendu brillamment hommage à ses icônes (à travers « Kabaret » et « Kaas chante Piaf »). Sans renier son statut, ni ses origines modestes, son appartenance à une famille nombreuse du bassin lorrain, ses valeurs « d’âme et d’honnêteté », la star, première artiste française à signer avec Live Nation Monde, a pourtant cessé d’être « cette femme qui fuit », marquée par des deuils précoces, celle qui avait trouvé refuge dans le travail et l’amour du public pour mieux éviter l’angoissante confrontation avec son chagrin. En s’ouvrant davantage à la vie, en faisant confiance à ses goûts et à ses aspirations, celle qui avait jusque-là péché par trop d’humilité s’est reconnue, étonnée, émue, dans la nouvelle tribu musicale que Bertrand Lamblot, son directeur artistique, aura patiemment réunie autour d’elle.

Arno, cousin de pudeur et de timidité, écrivant rarement pour les autres, lui a fait cadeau d’un piano-voix onirique et sensuel au texte surréaliste (« Marre De Mon Amant »), dont elle fait resplendir à l’envi toutes les nuances. Pierre-Dominique Burgaud, lui a offert l’exaltant « Embrasse », aux paroles pleines d’espoir mises en lumière par une sublime envolée de cordes. Les enthousiastes Hyphen Hyphen, jeunes représentants de la génération électrop-pop dont l’enfance fut bercée par « Mon Mec A Moi » et « Mademoiselle Chante Le Blues » lui ont taillé sur mesure ce « Ne L’Oublie Jamais ». Aurélie Saada, de Brigitte, Pierre Jouishomme et le compositeur Rémi Lacroix, ont vu en elle cette espiègle « Madame Tout Le Monde », petit bijou pop plein d’humour et de légèreté. Jonathan Quarmby, artisan britannique du son de Benjamin Clementine, Finley Quaye ou Eagle Eye Cherry, qui a réalisé neuf titres sur l’album, et s’est montré bluffé par la voix de la chanteuse et sa capacité à embrasser un large spectre d’émotions, rend le morceau encore plus chaleureux et efficace. Se révèle aussi, dans une veine chargée d’autodérision qui lui sied bien, une Patricia Kaas inattendue, sur le texte parlé, émaillé de jeux de mots absurdes, signé Paul Ecole, de « Ma Météo Personnelle. »

En acceptant « d’assumer ses fragilités, ses complexes et ses failles », d’oser perdre parfois la bataille et d’avouer qu’elle a, comme tout le monde, « besoin d’une épaule pour poser (s)a tête », cette battante enfin apaisée – en témoigne son nouveau tatouage, une blonde qui lui ressemble, l’air serein – s’est soudain trouvée de taille à défendre de nouvelles causes, de nouveaux combats. Les chansons les plus poignantes de cet album en témoignent.

Icône gay, apôtre de la tolérance, elle a commandé à Pierre-Dominique Burgaud et Rémi Lacroix une chanson sur « Le Refuge », l’association que la chanteuse Jenifer lui a fait connaître, et qui vient en aide aux jeunes homosexuels chassés de leur domicile par leurs parents. Sans préméditation aucune cette fois, elle a eu envie de chanter « La Maison En Bord De Mer », glaçant témoignage à la première personne d’un inceste, écrit d’un trait par Pierre Jouishomme, particulièrement inspiré. Et le superbe texte signé Rose, martelé par le rythme obsédant de Rémi Lacroix, « Cogne », qui évoque le sinistre quotidien d’une femme battue.

N’y voyons pas le goût, très contemporain, de livrer à la foule des détails autobiographiques, même si, d’évidence, d’autres morceaux comme « Sans Nous », « Le Jour Et L’Heure », « Ma tristesse Est N’Importe Où », « Sans Tes Mains » ou l’imposant « La Langue Que Je Parle », dessinent avec lyrisme les contours de sa mélancolie. Plutôt la légitime et généreuse ambition d’offrir à son public un grand album de variété élégante avec de fortes et belles chansons, qu’elle aura accueilli, une fois terminé, les yeux pleins de larmes, elle qui ne pleurait jamais, avant. Et de faire d’une Kaas d’espèce, singulière et hors normes, une Kaas universelle qui nous touche, encore et toujours.